Nous sommes cernés par des pollutions variées, qu'elles soient écologiques, sonores, ou visuelles. Cette dernière, une imposition de contempler des scènes réelles désagréables, voire persécutantes. Le trompe-l'œil, cette illusion optique choisie, se dresse alors comme un complice, une échappée artistique qui permet de jouer avec ces pollutions, en tirant du plaisir de cette manipulation visuelle. Il ne s'agit pas de tricher, mais plutôt de se libérer, ne serait-ce que temporairement, des souillures que le regard subit.

Masoud Salari

L’introduction du recueil « Les Nostalgies du futur »,
en voie de publication chez L’Harmattan, avec des gravure de Hassan Nozadian :


 

La vraie jeunesse ne s’use pas
On a beau l’appeler souvenir,
On a beau dire qu’elle disparaît,
On a beau dire et vouloir dire que tout s’en va,
Tout ce qui est vrai reste là.

Jacques Prévert

Les poèmes et autres écrits contenus dans cette collection sont censés, dans l’idéal de l’auteur, se dévoiler comme un ballet littéraire, où la nostalgie prend une teinte particulière, traversée par le prisme de l’illusion optique. Cette dernière, évoquée tant comme sujet que comme médium dans les arts plastiques, s’entrelace avec la poésie, créant ainsi une toile narrative qui paraîtrait complexe, mais qui laisse sortir des limites de l’impossible.

Au sein des pages de cet ouvrage, apparaissent des fils invisibles qui lient l’âme à son pays d’origine, à sa maison natale, à sa cité qui a vu s’épanouir nos rêves juvéniles. D’autant plus que l’Iran, mon pays natal, se dresse comme une étoile jadis radieuse, il y a de cela environ cinq décennies, un pays qui abritait un jour un peuple baigné dans les teintes chatoyantes de l’ouverture d’esprit de la liberté, pour le moins sociétale.

Les poèmes reflètent aussi les nostalgies d’amours, perdus ou même heureux, des reliquats d’une étreinte éphémère dont la douleur persiste dans les replis de la mémoire.

Au fil des vers, j’accorde une place particulière à ces éléments en voie de disparition dans la nature, témoins silencieux de notre passage éphémère sur cette terre. Les murmures des rivières asséchées, le soupir du vent traversant des forêts dépeuplées, des bois jadis peuplés de tigres et de faons, de peupliers et de saules, tous ces éléments autrefois florissants réclament l’attention, criant leur détresse dans l’indifférence générale. N’est-ce pas par les images nostalgiques du passé glorieux de notre planète actuellement agonisante que les activistes appellent en urgence pour secourir l’avenir de nos descendants ?

Mes poèmes ne se contentent portant pas de dresser le constat mélancolique du présent ; ils essaient d’ouvrir également les portes d’un monde imaginaire du futur, des horizons inexplorés où les souhaits et les désirs prennent forme. Or, le futur devient lui aussi nostalgique, paradoxalement.

Je me refuse à glorifier l’illusion d’un passé embelli par le filtre de la mémoire, car c’est dans la lucidité du regard que réside la véritable essence de nos racines. Ainsi, ai-je tenté de supprimer toute trace de la suavité romantique pour qu’aucun sentimentalisme mielleux ne vienne orner ces lignes.

Ainsi, dans cet ouvrage, se côtoient les ombres du passé, les murmures du présent et les éclats lumineux d’un avenir encore à écrire. La plume se fait le témoin des instants perdus, des émotions fugaces, des paysages en voie d’extinction, mais elle se veut également appelant à reprendre nos esprits des pensées obscures.

LA THEMATIQUE

La nostalgie ; un droit tellement méprisé

La nostalgie n’est pas la maladie des souvenirs perdus, mais plutôt le doux parfum des plaisirs que l’on se choisit du passé, de chaque rire d’autrefois que l’on laisse résonner encore dans son for intérieur.

Loin d’être une douleur, elle est un droit humain inaliénable, une autorisation virtuelle à revisiter les méandres du temps. Elle se manifeste non comme une lamentation sur ce qui n’est plus, mais comme une célébration des fragments choisis qui illuminent notre chemin.

Compagne silencieuse de nos jours, elle n’est guère une chose banale, ni simplement sentimentale. Elle se tisse en filigrane dans les replis du temps, un précieux héritage qui rappelle l’importance des origines. Renoncer à la nostalgie de notre passé reviendrait à égarer la clé d’une porte menant vers notre propre avenir.

La nature, elle aussi, réclame sa part de nostalgie. Se souvenir de ses murmures, de ses parfums, c’est lui accorder une place dans notre aujourd’hui, tisser des liens invisibles entre nos pas et la terre qui porte notre histoire. La nostalgie devient ainsi le gardien de l’essence, un pont entre le passé et le présent sur une route qui mène au futur, un rappel constant que chaque instant vécu éclaire le chemin de demain.

Cependant, il s’avère essentiel de maîtriser l’art délicat d’apprivoiser la nostalgie, de la manier avec finesse sans succomber aux pièges du pur sentimentalisme. Telle une mélodie subtile, elle résonne dans le cœur, à l’instar de l’amour, de la haine, de la raison. La nostalgie, énigmatique compagne du temps, requiert une attention sérieuse de notre part.

Même dans les recoins fictifs tissés par les mots de la littérature, elle ne saurait être négligée. Elle réclame une considération profonde, une nuance précise. Traiter la nostalgie exige un savoir-faire, une habileté à jongler avec les fils du passé sans s’égarer dans l’excès émotionnel.

C’est un équilibre délicat, une danse subtile entre les souvenirs et le présent. Comme un poète manie les mots pour composer une symphonie d’émotions, il faut être habile dans l’art de manœuvrer la nostalgie. Elle devient alors une alliée, un guide discret, plutôt qu’une force capable de nous entraîner dans les méandres du regret.


Le trompe-l’œil au-delà d’un simple jeu d’illusion optique

Le trompe-l’œil, une option délibérée, une sorte de jeu d’ombres habilement orchestré. Il revêt un caractère indispensable, à l’instar de ces jeux qui agissent en purificateurs d’esprit, éloignant les impuretés accumulées. À un certain moment, une évasion s’impose, nous détachant de la réalité brutale et disgracieuse pour nous détendre et savourer le plaisir de l’irréalité.

Nous sommes cernés par des pollutions variées, qu’elles soient écologiques, sonores, ou visuelles. Cette dernière, une imposition de contempler des scènes réelles désagréables, voire persécutantes. Le trompe-l’œil, cette illusion optique choisie, se dresse alors comme un complice, une échappée artistique qui permet de jouer avec ces pollutions, en tirant du plaisir de cette manipulation visuelle. Il ne s’agit pas de tricher, mais plutôt de se libérer, ne serait-ce que temporairement, des souillures que le regard subit.

Dans cette danse d’ombres, on peut se demander si nous ne sommes pas de simples reflets d’un monde existant ou ayant existé ailleurs, à la manière des préceptes de Platon. Peut-être vivons-nous, inconsciemment, les existences d’autres individus dans d’autres mondes ou à d’autres époques.

En tant que contemplateurs, nous observons un monde que nous croyons réel. Cependant, peut-être cette réalité est-elle façonnée différemment, peut-être même existons-nous dans un univers virtuel. Une constatation qui gagne en crédibilité avec l’avènement des inventions numériques et de l’intelligence artificielle.

Par ailleurs, le trompe-l’œil, avec son jeu d’ombres élaboré, s’inscrit dans une tradition artistique ancienne tout en trouvant une nouvelle expression dans le futurisme. Cette technique d’illusion optique, adoptée par les artistes futuristes, transcende les limites de la réalité et offre une perspective avant-gardiste. Ainsi, le trompe-l’œil devient un moyen novateur de stimuler l’imagination, créant des œuvres qui défient les conventions visuelles et redéfinissent notre perception du monde.

La question posée par Maurits Cornelis Escher résonne comme un écho dans cette réflexion complexe sur la nature de la réalité : « Etes-vous vraiment sûr qu’un plancher ne peut pas être aussi un plafond ? » Une interrogation suspendue dans l’air, nous invitant à questionner la certitude de nos perceptions, où la réalité se dérobe peut-être derrière les apparences.


L’impossible devient possible

« L’impossible n’est pas français », ainsi clame un proverbe, tranchant dans son expression. Cependant, peut-être gagnerait-il en crédibilité s’il se résumait à une assertion plus concise et lapidaire : « l’impossible n’est pas ».

Au cœur même de l’esprit humain, notamment dans le sanctuaire des artistes, tout s’érige en possibilité. La vie passée, ce temps jadis perdu, souvent considéré comme l’emblème même de l’impossibilité, prend soudainement vie et se renouvelle dans les royaumes imaginaires tissés par le poète et le peintre. Dans leur créativité, l’impossible se métamorphose en une réalité que seul l’artiste, avec son génie, parvient à dévoiler.

Au sein de cet assemblage littéraire, l’essai délicat de mettre en lumière le thème de l’« impossible » se déploie avec une ferveur artistique. Ce motif récurrent chez l’artiste, trouve une place d’honneur et irrigue plusieurs poèmes de ce recueil.

Des instantanés singuliers, tels que l’image statique d’une Paykan, icône emblématique d’une voiture populaire iranienne, gravée dans le mur de la mémoire collective, émergent comme autant d’exemples poignants. Des tableaux surréalistes prennent aussi vie dans ces pages. Une Chevrolet antique roulant dans l’infini cosmique, parée d’ailes comme une chimère des cieux. Des édifices suspendus, des murs d’apparence sereine et solide mais souvent fissurés, troués, cassés par morceaux de voiture, d’avion ou bien des lignes évoquant des branches tel dans les films d’horreur, des escaliers qui se croisent et qui mènent à nulle part, mais aussi des dessins à l’image de vraies esquisses architecturales, y jouent avec les illusions optiques, créant des perspectives qui défient la logique.

Certains poèmes de ce recueil dévoilent aussi une tentative de décrire de telles situation et de montrer que l’impossible n’est pas une barrière, mais une invitation à explorer les méandres de l’inconcevable.

Ainsi, dans l’univers mental des créateurs, l’impossible s’évanouit, souvent sur une scène surréaliste, laissant place à un terrain fertile où l’imaginaire cultive ses fruits éternels.

UNE EXPERIENCE DE SYMBIOSE ARTISTIQUE

L’idée de ce recueil illustré a été lancée lorsque des commentaires étaient en cours de préparation pour une collections des dessins de l’artistes.

Plusieurs compositions de ce recueil s’accompagnent donc de gravures signées Hassan Nozadian, même si les poèmes soient tous émergés postérieurement, s’inspirant des œuvres de l’artiste. Évoquant l’inspiration des peintres comme Escher tout en traçant son propre chemin, ces images se mêlent harmonieusement au tissu des mots, créant une symbiose artistique.

À contre-courant des vagues de banalités, Nozadian offre une nouvelle perspective à la nostalgie. Il donne vie à des images qui relèvent souvent de ses propres nostalgies d’enfance dans son pays d’origine, Iran, sans cependant sombrer dans les clichés. Il insuffle ainsi une vie rare à la nostalgie, aux espaces « impossibles », la dépoussière des préjugés qui méprisent ces notions, et les place sous les projecteurs de l’appréciation artistique. Son regard profond, telle une lentille scrutant l’âme des choses, révèle une mise en lumière audacieuse des notions souvent négligées ou méprisées.

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